Portrait - Elvira Haxhiu, une travailleuse sociale engagée pour la cause des réfugiés

Aujourd'hui, nous partons à la rencontre d'Elvira Haxhiu, apprenante en formation CAFDES à l'ITS Tours, ancienne chargé de projet territoriale de l'association Kodiko, Lauréate de l'UNHCR et membre de groupes de travail au sein du programme, et aujourd'hui prestataire pour le CCAS de Tours, entre autres missions. A travers son témoignage, Elvira nous parle de ses engagements pour les personnes réfugiées et de son parcours, de l'Albanie jusqu'à Tours, qui l'ont amenée à suivre la formation visant au Certificat d'aptitude aux fonctions de direction d'établissements et services d'intervention sociale (CAFDES), à l'Institut du Travail Social de Tours.
Vous avez débuté votre carrière en Albanie, en tant que journaliste et assistante sociale, vous êtes diplômée en langue et littérature et puis en affaires sociales. Pourquoi et comment avez-vous combiné ces deux métiers ?
Mon parcours professionnel a débuté en tant que journaliste où j'ai pu développer des compétences telles que la recherche, l'analyse critique, et la communication efficace.
En début, j’écrivais par plaisir mais après c’est devenu une façon de dénoncer différentes problématiques et des politiques sociales afin de soutenir les femmes et les enfants que j’accompagnais en tant qu’assistante sociale dans un quartier sensible à la mairie de Tirana ou moi-même j’avais grandi.
J'ai été témoin de nombreuses réalités sociales et de situations difficiles auxquelles les femmes et les enfants étaient confrontés. Cette expérience a éveillé en moi une sensibilité particulière envers les enjeux sociaux et le désir d'apporter une contribution plus directe au bien-être de ce public.
Cette combinaison unique de compétences m'a également permis d'adopter une approche holistique dans mon travail, en comprenant à la fois les dimensions médiatiques des enjeux sociaux et les interventions pratiques nécessaires pour créer un impact positif et d'apporter une contribution significative à la société.
Vous avez un parcours riche, quelles ont été les expériences marquantes qui ont participé de la construction de votre identité professionnelle ?
Mon parcours professionnel a été marqué par plusieurs expériences significatives qui ont contribué à façonner mon identité professionnelle de manière profonde. J’ai quitté mon pays avec mes deux filles, le 23 février 2013 en laissant derrière moi tout, ma famille, ma maison, ma vie professionnelle et mes ami.es. Une fois en France j’ai tout recommencé depuis le début. J’ai passé toutes les procédures administratives pour avoir le statut de réfugiée, j’ai eu l’équivalence de mes diplômes et j’ai effectué plusieurs stages aux différents CCAS et centres d’hébergements pour mieux connaitre le fonctionnement du métier d’assistante sociale en France.
Le 1er travail en France a été dans la compagnie théâtrale Barroco Théâtre en tant que Chargée de diffusion et communication. Par la suite, j’ai découvert l’association Kodiko et avec le soutien de Pole emploi et des entreprises du territoire, j’ai conduit l’installation de la 1ère antenne de cette association à Tours. Mon but en tant que chargée de projet territorial dans cette association était d’aider et faciliter les démarches de l’insertion professionnelle des autres réfugiées.
Une autre belle expérience dans mon parcours professionnel que je veux partager avec vous c’est le travail pour la Ville de Tours. En effet, en décembre 2O21, j’ai décidé de quitter l’association Kodiko car je voulais évoluer dans ma carrière et l’association ne m’offrait pas cette possibilité. C’est pour cela que j’ai commencé à faire les démarches pour m’inscrire à la formation CAFDES et en attendant de passer tous les examens pour être admise à cette formation, j’ai créé mon auto-entreprise ou j’offre des prestations sociales auprès des publics vulnérables.
Depuis quelques années, je suis experte judiciaire auprès de Tribunal d’Orléans et j’interviens auprès de différents Tribunaux de la région ainsi qu’au Conseil Départemental, au service MNA (ndlr. mineurs non accompagnés) comme interprète. Dans le cadre de dispositif HOPE, j’ai travaillé pour l’AFPA de Tours ou j’ai accompagné un groupe des personnes réfugiées dans toutes les démarches administratives et de l’insertion professionnelles.
Quand la guerre a commencé en Ukraine, la ville de Tours m’a fait appel afin d’héberger et d’accompagner les familles ukrainiennes venues à Tours. J’ai dû mettre en place le dispositif « Familles accueillantes en Touraine ». La mise en place de la Cellule Ukraine m’a permis de travailler de façon très étroite avec toutes les instances publiques et les acteurs du terrain tels que : La Préfecture, la DDETS, Pole emploi, la CAF, CPAM… C’était la plus belle expérience pour moi car j’ai pu travailler avec une équipe et des élus très engagés avec énormément de valeurs humaines. L’accueil sans condition des tourangeaux et des tourangelles m’a montré l’étendue de la solidarité et la fraternité des Français.
Pour ce travail la Préfecture a proposé ma candidature pour la médaille « Promotion Ukraine » qui m’a été décernée par le ministère de l’Intérieur en juin 2023. J’ai fini mes missions à la Ville de Tours le 16 septembre et le 19 je suis entrée à l’ITS car après plusieurs épreuves écrites et orales, j’ai été finalement admise. Actuellement, en 2ème année, dernière ligne droite jusqu’à novembre.
Mais, je voulais dire que je suis reconnaissante envers mon pays, la France, ce pays qui m’a accueillie et qui m’a guidée vers ce chemin-là. Reconnaissante à toutes les instances publiques et privées et à toutes les personnes que j’ai pu croiser dans ce parcours, qui ont cru en moi et qui ont fait de moi la femme que je suis aujourd’hui.
Selon vous, quelles qualités sont essentielles pour réussir dans les métiers du travail social ?
Pour réussir dans les métiers du travail social, plusieurs qualités sont cruciales mais je voudrais citer quelques qualités essentielles de mon point de vue.
Tout d'abord, l'empathie est fondamentale, car elle permet de comprendre les situations vécues par les personnes que l'on assiste. La capacité à communiquer de manière efficace est une qualité clé, car elle facilite la compréhension mutuelle et renforce la relation entre le professionnel du travail social et la personne aidée. La persévérance est un atout majeur pour surmonter les obstacles rencontrés dans le travail social, tout comme la capacité à travailler en équipe, car la collaboration avec d'autres professionnels est primordiale. La patience est également essentielle, car le travail social implique souvent des défis complexes et des progrès lents.
Enfin, une solide éthique professionnelle, incluant le respect de la confidentialité et l'intégrité, est essentielle pour bâtir une relation de confiance avec les personnes bénéficiant de l'accompagnement social.
Quels sont les défis que vous rencontrez au quotidien dans votre travail (au CCAS ?)
En tant que prestataire sociale au sein de CCAS de Tours, je fais face à plusieurs défis au quotidien.
Tout d'abord, la charge de travail peut être importante, avec des demandes variées provenant de personnes aux besoins divers. Mes missions consistent à héberger et accompagner les personnes sans solutions d’hébergement et qui font appel au 115 tous les soirs. Faire un diagnostic individuel de leurs besoins afin de leur trouver une solution d’hébergement et de les accompagner vers un logement plus pérenne pour qu’ils deviennent autonomes. Prioriser et gérer efficacement ces demandes tout en maintenant un haut niveau de service, constitue un défi constant.
Un autre défi réside dans la complexité des situations sociales auxquelles je suis confrontée. Chaque individu a son propre ensemble de besoins et de circonstances, ce qui exige une approche individualisée. Trouver des solutions adaptées à chaque situation tout en respectant les politiques et procédures en vigueur représente pour moi un défi continu. La coordination avec d'autres services et professionnels, à la fois au sein du CCAS et avec des partenaires externes, peut également être un défi logistique. Assurer une communication fluide et une collaboration efficace pour offrir un soutien complet aux personnes bénéficiant de nos services est un enjeu constant.
Enfin, rester informée des évolutions législatives et des nouvelles approches en matière de travail social constitue un défi permanent pour garantir que nos pratiques restent alignées avec les meilleures pratiques et les normes professionnelles.
Avez-vous une anecdote dans votre métier qui compte particulièrement pour vous ?
J’en ai plusieurs, des exemples, des vécus qui ont donné du sens à ma vie professionnelle et personnelle :
La première anecdote est celle de la surprise d’une famille ukrainienne quand j’ai travaillé à la Ville de Tours.
« Un jour, je me suis retrouvé face à une famille composée de 9 personnes, principalement des femmes, avec des enfants et des parents ayant des problèmes de santé. Ils se trouvaient dans une situation difficile, sans solution d'hébergement, sans ressources financières, et sans autorisation de rester sur le territoire. En collaborant avec la Préfecture, la DDETS et la Croix-Rouge, j'ai réussi, le même jour, à trouver pour eux une solution d'hébergement, à leur fournir des chèques alimentaires, et à soumettre une demande d'APS à la Préfecture. Le lendemain, ils ont obtenu un rendez-vous.
Après leur entretien avec la Préfecture, toute la famille est venue au hall de la Mairie avec des fleurs et un grand gâteau. J'ai pu voir le bonheur sur le visage de chaque membre de la famille. D'un point de vue personnel, j'ai été profondément émue et heureuse d'avoir pu redonner espoir à cette famille. Cependant, d'un point de vue professionnel, j'ai ressenti une gêne en recevant ces cadeaux, car je considère simplement cela comme faisant partie de mon travail, et je n'aurais pas dû les accepter. Devant leur persévérance, les larmes de joie dans leurs yeux et en connaissant leurs codes culturels, j'ai dû accepter leurs cadeaux pour ne pas les blesser. Leurs câlins et leur bonheur m’ont motivée encore plus et ont donné plus du sens à mon travail ».
La seconde est celle de l’appel de M. GABILLAUD (directeur de la DDTS 37) pour m’annoncer la décision de la Préfecture comme candidate de la médaille « Promotion Ukraine » …
Un jour, alors que je préparais un atelier sur la citoyenneté à l'AFPA, j'ai reçu un appel de Monsieur GABILLAUD Xavier. Il m'a informé qu'après plusieurs tentatives infructueuses pour contacter ma collègue de la Ville de Tours (qui était en vacances à ce moment-là), il n'avait d'autre choix que de se tourner vers moi. Avec une voix calme, il m'a annoncé que la préfecture avait décidé de soumettre ma candidature au ministère de l'Intérieur pour la médaille "Promotion Ukraine". Il avait besoin de ma date de naissance et de quelques informations personnelles pour compléter le dossier.
À cet instant, les mots m'ont manqué, et j'ai complètement oublié ma date de naissance. Un mélange d'émotions a parcouru tout mon être, et des larmes ont coulé sur mes joues. Malgré cela, j'ai finalement fourni les informations requises tout en exprimant : "Je ne mérite pas cela, travailler pour ces personnes me remplit intérieurement et me donne la force. Avoir eu la chance de collaborer avec ces personnes et ces instances est ma façon de montrer ma gratitude envers la France et toutes les personnes qui ont croisé mon chemin. Merci !
Vous avez récemment participé au Forum mondial sur les réfugiés organisés par les Nations Unies, à Genève. C'est à la fois un accomplissement et un engagement à long terme. Quelles sont vos missions en tant que Lauréate de l'UNHCR ?
En 2020, j’étais élue lauréate de la 1ère Académie pour la participation des personnes réfugiées mis en place par la DIAIR HCR et l’IFRI.
Cet engagement au niveau national m’a donné l’opportunité de mieux connaitre les politiques publiques et plusieurs actions en faveur des personnes réfugiées ainsi que de développer mon réseau avec les instances publiques et différentes organisations au niveau national. Cela a été un tremplin vers mes engagements au niveau international où j’ai été sélectionnée parmi 700 personnes à participer à l’organisation du Forum mondial sur les réfugiés. Ce forum a eu lieu du 12 au 15 décembre 2023 à Genève.
Premièrement, lors du forum mondial sur les réfugiées nous avons élaboré et mis en place « La déclaration commune sur les réfugiés ». Ensuite, après plusieurs mois de travail sur différentes thématiques et actions en lien avec les personnes exilées, je me suis plus consacrée sur les problématiques du genre, l’égalité des chances et la violence des femmes exilées.
À la suite de ce travail le 28 novembre 2023, j’ai lancé à l’ONU en présence de l’ambassadeur de la France à l’ONU et différents représentants diplomatiques, l’initiative « Avec Elles ». Une initiative de l’État français qui vise à promouvoir l'égalité des genres, à éliminer les violences sexistes pendant le parcours d’exil et dans les pays d’accueil.
J’ai pu mener plus d ‘actions spécifiques en direction des femmes exilées pour plus d’opportunités en termes de formations qualifiantes, accès à l’emploi et aux études. Favoriser leur accès à la santé et des suivis psychologiques. Créer un espace sûr, inclusif et respectueux où ces femmes peuvent reconstruire leur vie et puissent vivre avec dignité.
Je suis très fière car l’initiative a été une vraie réussite. Plusieurs pays, des fondations et ONG ont rejoint et soutenu « Avec elles ». Maintenant, il nous reste à suivre de plus près ces engagements et les actions que nous avons proposées.
Pourriez-vous nous parler de votre formation à l'ITS Tours et en quoi elle vous est bénéfique dans votre carrière ?
Ma formation au CAFDES (j’insiste à expliquer le terme car plusieurs personnes ne connaissent pas) (Certificat d'Aptitude aux Fonctions de Directeur d'Établissement ou de Service Social) à l'ITS Tours a été une étape déterminante dans mon parcours professionnel.
Avant de m'engager dans le CAFDES, j'ai participé aux journées portes ouvertes et j'ai eu plusieurs entretiens avec M. AMINE Taha, le responsable de la formation. Je tiens à le remercier, car c'est grâce à nos échanges que j'ai pris la décision de suivre le CAFDES. Initialement intéressé par la formation DEIS, c'est lui qui a identifié en moi les compétences adéquates pour m'orienter vers le CAFDES.
Ensuite, je me suis renseignée sur la durée, le financement, les opportunités d’emploi après la formation. Après quelques recherches, j’étais étonnée des statistiques de réussite à cette formation car 97% des étudiants trouvaient un emploi pendant la formation et 100% après l’obtention du diplôme. Tout cela m’a convaincu pour me lancer au CAFDES sans aucune hésitation afin de réaliser mes objectifs professionnels. Aujourd’hui je ne regrette pas car cette formation m'a fourni une solide base de connaissances et de compétences nécessaires pour assumer des responsabilités de direction dans le domaine du travail social.
L'une des principales valeurs de la formation réside dans son approche pratique et orientée vers la gestion. Les modules couvrent un large éventail de domaines, tels que la gestion des ressources humaines, la gestion financière, le droit social, et la stratégie organisationnelle.
La formation met l'accent sur le leadership et le développement de compétences managériales. Les enseignements sur la communication, la négociation, la sécurité et l’hygiène ainsi que la résolution de conflits m'ont été particulièrement utiles et indispensables pour mon futur métier.
De plus, la formation CAFDES est une expérience très enrichissante pour moi et qui m’a considérablement forgée en compétences dans le secteur du travail social, en m’offrant une combinaison équilibrée de connaissances théoriques et de compétences pratiques à travers de stage.
Les intervenants de nos cours font preuve d'un grand professionnalisme et possèdent l'expertise nécessaire dans le domaine médico-social dans divers domaines, énumérés ci-dessous.
Je tiens à rendre hommage à Olivier CANY, dont j'ai eu la chance de suivre les cours et qui a énormément contribué à l'ITS, faisant de cette école la meilleure dans son domaine. Je suis fière de constater que son travail et sa direction ont été transmis à des femmes fortement engagées, telles que Mme. ANDRIEUX Marie et Mme. DELHOMME Cécile.
Il est également important de souligner la qualité exceptionnelle de la restauration au sein de l'ITS ainsi que la richesse de la bibliothèque, qui propose des ouvrages importants dans tous les domaines.
Enfin, le réseau professionnel que j'ai pu développer pendant ma formation s'est avéré précieux. Les échanges avec mes pairs, les enseignants, et les intervenants du secteur ont contribué à élargir ma perspective sur les enjeux du travail social et ont facilité des collaborations fructueuses.
Avez-vous des conseils pour les futurs candidats au CAFDES qui se lancent dans cette formation aux fonctions de direction, spécifique au secteur de l'intervention sociale ?
Certainement oui, voici quelques conseils pour les futurs candidats au CAFDES :
Tout d’abord, il faut bien comprendre les attentes du CAFDES : Avant de commencer la formation, assurez-vous de bien comprendre les attentes et les exigences du CAFDES. C’est une formation exigeante qui demande beaucoup d’investissement. Personnellement, il m’est arrivée de faire de nuits blanches et de sacrifier mes vacances d’été pour travailler sur certains dossiers.
Développez une vision claire de votre projet professionnel : La formation CAFDES est axée sur la préparation aux fonctions de direction. Avant de vous lancer, réfléchissez à votre projet professionnel sur le long terme et à la manière dont le CAFDES contribuera à sa réalisation.
Familiarisez-vous avec le programme, les compétences visées, et les différentes étapes du cursus.
S'impliquer activement dans la formation. La participation active aux cours est cruciale.
Profitez des stages pratiques : les stages sont une composante essentielle du CAFDES. Choisissez des lieux de stage pertinents par rapport à vos objectifs professionnels, et tirez-en le meilleur parti en appliquant les connaissances acquises en cours.
Qu'est-ce que l'on peut vous souhaiter pour cette nouvelle année qui débute ?
Ce que je souhaite avec tout mon cœur, c’est l’obtention du diplôme CAFDES en novembre 2024. Si vous voulez me rendre heureuse souhaitez moi que ça !
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